TDAH – des stéréotypes à la science

Traduction d’un article du Dr. Thomas E. Brown.

Oubliez Denis la Malice ou d’autres stéréotypes dépassés sur les enfants atteints de TDAH. De nouvelles recherches révèlent l’étendue et la complexité du trouble.

Dans presque chaque classe, au moins un ou deux élèves sont identifiés comme étant atteints d’un Trouble de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH). Parfois, les parents mentionnent en début d’année scolaire que leur enfant a reçu un diagnostic de TDAH. Parfois, l’information est donnée dans le cadre d’une demande d’aménagement scolaire pour un enfant en difficulté d’apprentissage, ou encore par un professeur qui a eu cet élève dans sa classe l’année précédente.

La plupart du temps, l’étiquette TDAH est prise comme un avertissement que l’élève est susceptible d’être difficile à gérer et qu’il ne sera pas aisé de lui enseigner quelque chose, qu’il ou elle sera plus agité(e) ou perturbant(e) que la plupart des autres élèves.

Cette image à la Denis la Malice est cependant un stéréotype dépassé. Certains élèves atteints de TDAH sont agités et perturbateurs mais beaucoup d’autres sont plus tranquilles, plus distraits et passifs, et pas très productifs ou constants dans leur travail. Depuis que le TDAH a été décrit pour la première fois dans la littérature médicale (NDLT : aux Etats-Unis, car en fait, il a été mentionné beaucoup plus tôt en Europe) en 1902, ce trouble, maintenant nommé TDAH, a été essentiellement considéré comme un problème comportemental.

Il a longtemps été vu sous comme se réduisant à un problème de  petits garçons hyperactifs qui ne pouvaient pas rester assis tranquillement, parlaient sans arrêt, et frustraient leurs parents et les professeurs par un mauvais comportement chronique. Le terme « déficit d’attention » n’a été ajouté dans le nom du trouble qu’en 1980. Depuis lors, il y a eu des changements substantiels dans notre compréhension scientifique du TDAH qu’il est important que les personnes impliquées dans l’éducation d’un enfant connaissent.

Une mise à jour des faits de base :

Les faits suivants sont maintenant bien établis dans la recherche scientifique.

–  Le TDAH est un dysfonctionnement développemental dans le système d’autogestion du cerveau qui inclut des problèmes pour se motiver, s’organiser, et démarrer les tâches nécessaires, se concentrer sur ce qui doit être fait et déplacer son attention d’une tâche à une autre au bon moment, gérer l’éveil et le sommeil, maintenir un effort sur la durée pour accomplir une tâche, traiter et restituer efficacement des informations, gérer ses émotions, utiliser sa mémoire de travail, contrôler ses propres actes pour s’adapter à un cadre et éviter une impulsivité excessive.

– Tout le monde fait l’expérience, de temps à autre, des caractéristiques du TDAH. Les personnes atteintes de TDAH ont des difficultés envahissantes, chroniques et handicapantes. Le TDAH n’est pas une situation binaire comme une grossesse, où la personne est enceinte ou pas. Le TDAH est davantage comme la dépression, avec des niveaux de sévérité léger, modéré ou grave. Tout le monde a de temps en temps un coup de déprime, mais être malheureux pendant quelques jours ne justifie pas un diagnostic de dépression clinique. Le diagnostic est réservé aux personnes qui sont handicapés de manière significative et persistante par leurs symptômes.  

–  Bien que certains enfants et adultes atteints de TDAH aient des problèmes importants avec des comportements impulsifs et hyperactifs, beaucoup de personnes atteintes de ce trouble n’affichent pas ce genre de comportements. La majorité des personnes qui ont été « hyper » pendant leur enfance n’ont plus présenté ce symptôme au début de l’adolescence mais continuent à avoir des problèmes avec l’attention et d’autres, apparentés.

–  Le TDAH est hautement héritable. Il se retrouve dans les familles. 25% d’enfants atteints de TDAH ont un parent atteint de TDAH et 30% ont une sœur ou un frère atteint de TDAH. 20 études qui ont comparé des jumeaux identiques ont donné un index d’héritabilité de 0.75, ce qui signifie que la plus grande probabilité de développer un TDAH n’est pas à mettre sur le compte d’un environnement familial mais d’une vulnérabilité héritée (Faraone et al., 2005). Des études ultérieures ont démontré que cette vulnérabilité n’était pas causée par un gène seul mais par une combinaison d’un grand nombre de gènes.

–  Des études longitudinales et des recherches en imagerie ont mis en évidence des différences importantes dans le développement du cerveau et dans la connectivité chez des enfants atteints de TDAH en comparaison avec des enfants du même âge au développement typique (Shaw et al., 2007).  Bien que le développement du cerveau soit, pour la plus grande partie, similaire dans les deux groupes, certaines aires qui sont importantes pour l’autogestion ont tendance à mûrir entre 3 et 5 ans plus tard chez les enfants atteints de TDAH (cf. article sur la conférence du Dr Barkley).

– On pensait autrefois qu’un enfant atteint de TDAH n’aurait plus ce trouble en grandissant, qu’il disparaissait vers l’âge d’environ 14 ans. Néanmoins, des etudes longitudinales ont montré qu’environ 70% de personnes qui ont eu un TDAH dans l’enfance continuent à avoir certains dysfonctionnements liés au TDAH au moins jusque tard dans l’adolescence (Biederman, Petty, Evans, Small, & Faraone, 2010; Biederman, Petty, Monuteaux, et al., 2010) . Pour beaucoup, mais pas tous, les dysfonctionnements du TDAH vont perdurer tout au long de l’existence.

–  Le TDAH est parfois apparent pendant les années d’enseignement préscolaire, mais il n’est souvent pas perceptible avant que l’enfant entre à l’école élémentaire ou au moment où il n’y a plus un seul enseignant qui procure une structure et un contrôle pendant la plus grande partie de la journée mais plusieurs. Certains ne montrent aucun signe de handicap avant le milieu de l’adolescence ou lorsqu’ils quittent le foyer familial et doivent relever les défis d’une vie plus indépendante dans le cadre d’études supérieures ou d’un emploi (voir article sur le QI et le TDAH du même auteur). Les personnes chez qui le TDAH se déclare plus tard en sont aussi perturbés dans leur fonctionnement que celles chez qui il s’est manifesté tôt.  

–  Le TDAH n’a aucun rapport avec l’intelligence de la personne. Il est retrouvé chez des personnes dont l’intelligence se situe tout au long de la gamme des capacités intellectuelles (cf. article mentionné plus haut).

–  Les émotions jouent deux rôles important dans le TDAH mais aucun d’eux n’est reflété dans les critères diagnostiques actuels.

Premièrement, les émotions conscientes et inconscientes on tune importance cruciale dans les problèmes de motivation et d’autorégulation.

Deuxièmement, beaucoup de personnes atteintes de TDAH éprouvent des difficultés chroniques à reconnaître leurs émotions ainsi qu’à en gérer l’expression.

–  Le TDAH ne consiste pas seulement en un ou deux symptômes spécifiques. C’est un syndrome complexe, un ensemble de dysfonctionnements qui apparaissent souvent ensemble, bien que certains aspects du trouble peuvent être plus ou moins marqués chez une personne. Il y a beaucoup de différences parmi les personnes atteintes de TDAH, même du même âge, les personnes atteintes de ce troubles ne se ressemblent pas toutes ni dans leurs forces ni dans leurs difficultés.

–  La plupart des personnes atteintes de TDAH ont aussi des difficultés qui sont la conséquence d’une ou plusieurs comorbidités. L’impact de troubles de l’apprentissage, de l’anxiété ou de troubles de l’humeur, troubles du sommeil, troubles obsessionnels compulsifs, abus de substances, et troubles du spectre de l’autisme est considérablement plus élevé chez les personnes atteintes de TDAH que dans la population générale. Parfois, le trouble comorbide est reconnu alors que le TDAH ne l’est pas.

–  Les médicaments ne guérissent pas le trouble mais chez 8 personnes sur 10 atteintes de TDAH, un traitement médicamenteux géré avec soin améliore significativement les symptômes. Les médicaments n’agissent pas à la manière d’un antibiotique qui guérit une infection en en supprimant la cause, mais plutôt comme des lunettes améliorent la vue quand on les porte.

L’énigme au cœur du TDAH

Il est un fait très déconcertant en matière de TDAH : les symptômes varient en fonction de la situation. C’est à dire que les personnes qui luttent contre les problèmes chroniques du TDAH peuvent n’avoir aucun de ces problèmes lorsqu’ils sont engagés dans une activité ou une tâche particulière.

Bien qu’ils luttent pour se concentrer sur leurs devoirs, les étudiants TDAH peuvent montrer une capacité remarquable à se concentrer et travailler efficacement lorsqu’ils pratiquent un sport, font preuve de créativité artistique ou musicale, effectuent des tâches mécaniques, ou jouent à leur jeu vidéo préféré.

Bien qu’ils puissent ne pas être capables de retenir des consignes ou des faits de base appris dans des études sociologiques ou en mathématiques, ils peuvent avoir une incroyable capacité à mémoriser les statistiques de leur équipe de baseball préférée ou les paroles de chansons à la mode.

Lorsqu’on leur demande pourquoi ils peuvent se concentrer si bien dans ces quelques activités, les étudiants TDAH répondent que cela dépend de l’intérêt de la tâche et que, si ce n’est pas intéressant, ils ne peuvent tout simplement pas être réceptifs.

Bien que ceci puisse être vrai pour tout le monde – que nous nous concentrons mieux sur ce qui nous intéresse – il y a ici une différence de taille. La plupart d’entre nous peuvent se forcer à rester concentré sur quelque chose que nous reconnaissons important bien que ce soit ennuyeux. Pour les personnes TDAH, c’est beaucoup plus difficile.

Un patient m’a un jour fait cette remarque qu’être atteint de TDAH

 « est comme avoir un dysfonctionnement érectile de l’esprit. Si la tâche que vous essayez d’accomplir est quelque chose qui vous intéresse vraiment, vous pouvez être performant mais si cette tâche que vous essayez d’accomplir n’a aucun intérêt inhérent, ça n’ira pas »

Bien que le TDAH puisse sembler être un problème de force de volonté, ce n’est pas le cas. C’est un problème lié à la dynamique de la chimie du cerveau. Quand les gens sont face à une tâche qui les intéresse vraiment – parce qu’elle semble pouvoir leur procurer du plaisir à ce moment-là ou éloigner quelque chose de déplaisant qu’ils souhaitent éviter, cette perception, consciente ou inconsciente, modifie instantanément la chimie du cerveau. Ce processus de motivation n’est pas soumis à un contrôle volontaire de notre part.

TDAH et lecture

Le problème de motivation transparaît souvent dans la lecture. Les étudiants atteints de TDAH rapportent souvent qu’ils peuvent comprendre un texte au moment où ils le lisent. Ils peuvent décoder tous les mots et comprendre ce qui est dit. Pourtant, seulement quelques minutes plus tard, ils n’ont plus la moindre idée de ce qu’ils viennent de lire. Pour extraire le sens d’un texte et le retenir, ils doivent souvent le relire plusieurs fois.

Un étudiant atteint de TDAH m’a dit un jour

« quand je lis quelque chose qui n’est pas vraiment intéressant pour moi, c’est comme si je léchais les mots mais ne les mâchais pas. Je sais ce qu’ils signifient au moment où je les lis mais c’est comme s’ils refusaient de se fixer dans ma tête. Je ne les digère pas vraiment. C’est pourquoi je dois écrire des notes au fur et à mesure ou utiliser un surligneur ou encore, lire et relire la même page plusieurs fois. »

TDAH et mémoire

Beaucoup d’étudiants atteints de TDAH ont une bonne, voire exceptionnellement bonne, mémoire à long terme. Ils peuvent être capables de réciter des paroles de chansons dans leur intégralité ou expliquer dans les détails le scénario d’un film qu’ils ont vu il y a des années. Cependant, ils peuvent éprouver de grandes difficultés à garder à l’esprit les consignes que le professeur vient juste de donner pour un devoir. Pendant les discussions en classe, les élèves atteints de TDAH peuvent lever le doigt pour répondre à une question que l’enseignant a posée et oublier ce qu’ils avaient l’intention de dire si le professeur a désigné quelqu’un avant eux. Leur problème n’est donc pas la mémoire à long terme, mais la mémoire de travail à court terme, la capacité de garder des informations à l’esprit en pensant à ou en faisant autre chose.

Il arrive que des étudiants atteints de TDAH étudient pour un examen la veille au soir (NDLR : « tout le monde sait », ou est censé savoir, or c’est loin d’être le cas, qu’il n’est jamais bon d’étudier la veille, mais les élèves et étudiants atteints de TDAH ont souvent tendance à le faire, ceci étant une conséquence de leurs problème d’organisation ainsi que de la procrastination qui est très présente dans ce trouble). Un parent peut les interroger à ce propos jusqu’à être sûr qu’ils ont bien retenu tout ce qu’ils avaient besoin de retenir.

Ils vont en classe le lendemain en s’attendant à avoir une très bonne note et découvrent avec surprise qu’une bonne partie de ce qu’ils savaient si bien la veille s’est soudain évaporée. Ils ne peuvent pas se remémorer les informations au moment où ils en ont besoin pour l’examen, mais quelques heures ou jours plus tard. Quelque chose vient rafraîchir leur mémoire et les informations sont à nouveau là.  Ce n’est pas que les élèves n’avaient pas étudié, c’est qu’ils n’étaient tout simplement pas capable d’aller la rechercher dans leur mémoire quand ils en avaient besoin. La mémoire de travail est le moteur de recherche du cerveau.  Les personnes atteintes de TDAH  souffrent souvent de difficultés chroniques avec leur mémoire de travail bien que leur mémoire à long terme fonctionne très bien.

TDAH et écriture 

De toutes les tâches académiques primaires, l’expression écrite est typiquement la plus difficile pour les étudiants atteints de TDAH. Dans les premières années scolaires, l’élève atteint de TDAH peut être exceptionnellement lent lorsqu’il s’agit de faire n’importe quel travail écrit. Alors que les autres élèves ont déjà écrit le titre de leur leçon sur le cahier et commence à copier les premières phrases inscrites au tableau, l’élève atteint de TDAH peut encore  être occupé à mettre son nom et la date sur sa feuille.

Quand les tâches écrites deviennent plus longues et plus complexes dans les degrés supérieurs, les étudiants atteints de TDAH rapportent souvent qu’ils ont beaucoup de bonnes idées concernant ce qu’ils souhaitent écrire mais qu’il leur faut une éternité pour exprimer leur pensée sous forme de phrases et paragraphes organisés.

L’expression écrite exige davantage des fonctions exécutives souvent déficientes dans le TDAH que ne le font la lecture ou l’écriture.  Les mots et les nombres qui composent un texte ou un problème mathématique procurent une structure qui assiste le lecteur, alors que l’expression écrite exige des étudiants qu’ils organisent, hiérarchisent, séquencent et élaborent leurs pensées selon une structure qu’ils doivent créer eux-mêmes. Une vitesse de traitement lente est souvent caractéristique des étudiants avec un TDAH.

Que peuvent faire les enseignants ?

L’estimation et le diagnostic d’un TDAH exigent d’être faits par un médecin diplômé, un psychologue, ou un autre spécialiste qui a été formé pour reconnaître le trouble et prescrire le traitement approprié (NDLT : aux Etats-Unis, car en France, Belgique ou Suisse, le diagnostic ne peut être fait que par un neurologue ou un psychiatre). Les enseignants, éducateurs et les administrateurs scolaires ont cependant un rôle important pour l’élève atteint de TDAH. Des enseignants conscients de la nouvelle compréhension de ce trouble sont mieux équipés pour identifier les élèves qui peuvent souffrir de ce trouble. Si un élève a des difficultés qui peuvent être liées à un TDAH, l’enseignant peut les décrire en détail et encourager la famille à en faire part à leur médecin de famille ou pédopsychiatre. Une identification précoce peut prévenir une démoralisation de l’élève suite à des expériences répétées de frustration et d’échec et peut faire en sorte qu’il reçoivent le soutien dont ils ont besoin pour réussir.


Références bibliographiques :

Biederman, J., Petty, C. R., Evans, M., Small, J., & Faraone, S. V. (2010). How persistent is ADHD? A controlled 10 year follow-up study of boys with ADHD. Psychiatry Research 177, 299– 304.

Biederman, J., Petty, C. R., Monuteaux, M. C., Fried, R., Byrne, D., Mirto, T., Spencer, T., et al. (2010). Adult psychiatric outcomes of girls with attentiondeficit hyperactivity disorder: 11-year follow-up in a longitudinal case-control study. American Journal of Psychiatry. 167(4), 409–417.

Faraone, S., Perlis, R. H., Doyle, A. E., Smoller, J. W., Goralnick, J. J., Homgren, M. A. & Sklar, P. (2005). Molecular genetics of attention deficit/ hyperactivity disorder. Biological Psychiatry, 57(11), 1313–1323.

Shaw, P., Eckstrand, K., Sharp, W., Blumenthal, J., Lerch, J. P., Greenstein, D., Clasen, L., et al. (2007). Attentiondeficit/hyperactivity disorder is characterized by a delay in cortical maturation. Proceedings of the National Academy of Sciences, 104(49), 19649–19654.



Thomas E. Brown
 est un psychologue clinician qui est également directeur associé à la Yale Clinic for Attention and Related Disorders (Clinique de Yale de l’Attention et des Troubles Apparentés) à New Haven, Connecticut. Son livre le plus récent est Smart but Stuck: Emotions in Teens and Adults with ADHD – Intelligent mais bloqué, les émotions chez les adultes et enfants atteints de TDAH, pas encore disponible en français (JosseyBass/Wiley, 2014).

2 commentaires

Laisser un commentaire